• Elle bombe là où j'arpente. Miss-Tic fait le mur pendant que je cours les rues. Elle et moi sommes "belle(s) et bien là", dans la ville. Comme si une de ses silhouettes s'était détachée d'une palissade du vingtième du côté de la Cité de l'Ermitage et déambulait nue sous un trench ouvert, les pieds dans des chaussures à talons hauts.

    La nuit nous appartient à toutes deux. La rue aussi. Et bien plus encore. Nous continuons à désirer sans fin dans les espaces libres que nous créons, à vouloir rendre subversifs le béton armé et le quotidien. Nous continuons à... Lectures au passage                   (image tirée du site de Miss-Tic)

    Les premiers Miss-tic apparaissent en 1985 et on en croise quelques-uns dès Bastille Tango puis dans Paris d'octobre. Ses pochoirs sont cités au milieu de ceux d'une clique d'artistes qui font de la rue leur territoire nocturne. Autant dire que Victor n'a pu que rencontrer celle que JFV appelle "la miss" dans La fille du calvaire. D'autant qu'elle s'est passionnée à partir de 1994 pour le tango jusqu'à en faire 10 heures par semaine et qu'elle a en 1996 créé avec certains de ses potes un groupe se faisant appeller "Etant donné"... Qu'il ait croisé lors d'une de ses virées nocturnes celle qui bombe "Je suis bien  seule" et pose la question "Le temps est-il un crime parfait ?" ne fait guère de doute. Il a toujours eu le don pour tomber sur des femmes qui portent plus souvent sur elles un flingue que de la dentelle de Calais. Encore que l'un n'empêche pas l'autre.

    En tout cas, JFV, lui, a fréquenté Miss-Tic. Peut-être dès 1986 quand elle présente sa première expo personnelle à la librairie Epigramme (26 rue St Antoine) ? Le libraire-éditeur Gérard Moreau connaissait bien JFV dont il publia La grande ronde du Père Duchesne..., et avec qui il projeta vers 1989 une revue intitulée Le temps de la Bastille. Au moins en 1996 puisqu'elle écrit dans Miss-Tic in Paris : "Je travaille avec Jean-François Vilar sur un projet d'édition qui ne verra jamais le jour".

    Oui, à partir de ces années-là, de moins en moins de projets de JFV ont vu le jour.

    Raison de plus pour continuer à faire le mur, la nuit.

     


    votre commentaire
  • 37ème anniversaire du "25 avril" comme on dit au Portugal, de la "Révolution des oeillets" comme on dit ailleurs.

    Plantons le décor - Acte I : Le pays vivait sous un régime fasciste depuis 1933, dirigé par le dictateur Salazar à qui avait succédé Caetano en 1968, la PIDE était une des polices politiques parmi les pires au monde, et l'armée engluait sa jeunesse dans des guerres impérialistes dans ses colonies (Angola, Guinée-Bissau, Mozambique...). Les soldats et les officiers y étaient jeunes, issus du peuple ; ils créèrent le MFA (Mouvement des Forces Armées), ils fomentèrent un putsch. Au matin du jeudi 25 avril 1974, à Oh20, la diffusion sur les ondes de la radio nationale de Grandola vila morena, une chanson de José Afonso interdite par le régime (elle parlait de peuple souverain et de fraternité !) fut le signal attendu dans nombre de casernes : les troupes envahirent Lisbonne et dégagèrent le pouvoir en place dans la journée. Il y eut très peu de combats, seuls quelques miliciens de la PIDE résistèrent et firent 6 morts.

     

    Acte II : Les "capitaines d'avril" ne voulaient pas le pouvoir. Certains, les plus conscients politiquement, favorisèrent les initiatives d'autogestion. Les grèves se déclenchent, les patrons fuient à l'étranger, les banques, les entreprises, les journaux et les radios sont contrôlés par les Commissions de Travailleurs qui se mettent en place. Les paysans s'approprient Les terres du sud et du centre (avec notamment l'expérience de la coopérative de Torre Bela). La censure est totalement abolie.

    Nombre de militants politiques accourent de toute l'Europe. Parmi eux, JF Vilar, tout juste de retour du service militaire et de la construction des "Comités de Défense des Appelés" ("Au retour de l'armée, en 1973-74 (dure époque), c'était le Chili, c'était le Portugal. Je vous parle de ça parce que c'était la vie d'un militant. Je voyageais beaucoup à cette époque-là. Passons sur les détails", dans Temps Noir n°14). Et Victor B ("C'était très exactement une AK 47 (...) J'avais vu les mêmes armes à Lisbonne pendant la révolution des oeillets, aux mains des gars du MFA, avant de devenir vraiment photographe", dans Nous cheminons...).

    Acte III : Hélas, les vieux stals (Alvaro Cunhal) et les vieux soc-dem (Mario Soares) revenus d'exil, ne tardent pas (en 1 an 1/2) à remettre de l'ordre capitaliste dans tout ça.

    37 ans après, le peuple portugais a une sangsue nommée FMI sur le dos ; quelle armée du peuple viendra l'en débarrasser ? 

      


    votre commentaire
  • Dans le n° 19 du journal Mic-Mac daté d'octobre 1985, JF Vilar parle du roman qu'il est en train de terminer ("un travail très présent, encore tumultueux"), sur la destruction d'un coin de Paris, la place de la Bastille : "Je parlerai aussi de quelques villes imaginaires, aléatoires. Venise, Prague ? Pour cette fois, ce sera Buenos Aires. Qui n'existe pas, comme tous les Argentins en exil vous diront. Ce sera Buenos Aires à cause d'une chanson de Carlos Gardel (né toulousain) et qui s'appelle "Volver". "Revenir". Une chanson bouleversante. Car pour moi qui suis de Paris depuis toujours, il y a toujours cette impression étrange, chaque matin de revenir. Comme l'assassin revient sur les lieux d'un crime qui n'est peut-être pas le sien".

    23 ans après la parution de Bastille Tango, Vilar revient à Buenos Aires. Où il n'est peut-être jamais allé. A moins qu'il ne s'agisse de Victor. Dans les pas de Lea Lublin, elle-même sur les traces de Marcel Duchamp, alias Victor pour certains de ses amis. On s'y perd. Ou on s'y retrouve, au contraire. C'est pareil.

    La nouvelle que nous venons de lire est signée V (Vilar, Victor ?), intitulée Volver (avec un V). Elle a été écrite pour le catalogue d'une expo d'un peintre né argentin. Installé à Paris. C'est une grande nouvelle ! 10 pages. Non, ce que nous voulons dire, ce qui est une grande nouvelle, c'est que nous avions perdu la trace de Victor (Victor B), vers Prague... vers 1993... 

    Et nous retrouvons sa trace, en 2009, à Buenos Aires, devant une boîte aux lettres sur laquelle est gravé VICTOR. V gravit les escaliers d'un immeuble abandonné et se retrouve au 1er étage, dans un atelier : une fenêtre (Fresh widow), une partie d'échecs sur une vieille page de journal... Duchamp séjourna à Buenos Aires de septembre 1918 au 20 juin 1919. 

    Plus tard, le voici devant un cinéma aux grilles fermées et rouillées. 2 films sont à l'affiche : Invasion de Hugo Santiago et Blow up d'Antonioni (une histoire de photographe), dont le scénario s'inspire d'une nouvelle de Julio Cortazar, Les fils de la Vierge. 

    Et V de continuer à tirer les fils de la pelote, ou bien de démêler le hérisson du souvenir, pour voir où ça mène. Cortazar, donc. Qui arriva à Buenos Aires en 1918, comme Duchamp. Et qui quitta l'Argentine en 1951, comme Antonio Segui. Nous y voilà.

    Lectures au passage 

    Dans les rues de Buenos Aires - à moins que ce ne soit dans les peintures d'Antonio Segui - envahies de passants portant le chapeau sur l'oeil, de passantes au déhanché de danseuses de tango. Victor, "témoin oculiste", son appareil photo en bandoulière, croise même 2 ou 3 passantes nues que personne ne remarque. Il devine les fantômes des disparus de la dictature militaire, s'inquiète d'une vieille Ford Falcon garée au coin de la rue. On entend la voix de Carlos Gardel, qui n'est pas mort le 24 juin 1935 dans un accident d'avion. Puisque c'est toujours sa voix qui plane sur Buenos Aires, même quand c'est un autre qui chante. Nostalgias.

     (paroles d'Enrique Cadicamo, ami de Gardel ; version chantée par Charlo, Buenos Aires 1936)

     


    1 commentaire
  • 90ème anniversaire de la première (et unique) excursion-visite du groupe Dada parisien, le jeudi 14 avril 1921 à 15h, dans le jardin de l'église St Julien-le-Pauvre, choisie pour son absence d'intérêt.

    Lectures au passage

    Seule la pluie était au rendez-vous.

    Lectures au passage

    Cette action (évoquée par Vilar dans Paris la nuit) est souvent présentée comme étant passée totalement inaperçue, un échec complet... Dont on parle encore 90 ans plus tard !

      


    votre commentaire
  • Dans Paris énigmes, court texte paru dans Les vacances, Autrement n°111, JFV nous explique comment partir en voyage à Paris quand on a la chance d'y habiter. Car "contrairement à la flânerie, le voyage nécessite une méthodique préparation" : prévenir ses connaissances que l'on sera absent, laisser le courrier s'entasser dans sa boîte aux lettres pendant toute la durée de ses vacances, et puis surtout, préparer son séjour, lire des guides, prendre des notes préparatoires, se programmer à l'avance des visites rationnelles, à thème, un quartier, des musées...

    Nous partons en voyage à Paris quelques jours. En touristes. Appareil-photo (Nikon FM argentique) et terrasses de cafés. Départ le mardi 12 en début d'après-midi. Sur les traces d'Hébert, le circuit des passages couverts... Avec sans doute un petit saut dans le 16ème des villages. Et peut-être serons-nous le jeudi 14 dans les jardins de l'église St Julien le Pauvre ? Sous un parapluie ?

     Lectures au passage

    (photo L.Lame, été 2010)

      


    3 commentaires
  • Une bibliothèque c'est un peu comme une carte plus ou moins détaillée de certains territoires. On y trouve des péninsules, des ilôts, des continents entiers. Parfois simplement des rues voire des impasses. Les étagères forment comme des limites évolutives entre des espaces cohérents : là les ouvrages sur Paris, en dessous la poésie, les romans noirs tout en haut, la philosophie, le surréalisme côte à côte. Au milieu les livres subversifs : anarchisme et érotisme pêle-mêle. A portée de main il y a une étagère où les livres au fur et à mesure de leur acquisition repoussent sociologie et linguistique, l'étagère réservée aux bouquins de Jean-François Vilar. La semaine dernière encore deux catalogues d'exposition ont rejoint l'alignement disparate puisque Vilar a pratiqué des formats divers : revues, port-folio, livre-objet, livres de photo, livres de poche jeunesse, plaquette... Là, la cartographie se veut la plus exhaustive possible. Il s'agit de tout posséder. Tout ce que l'on peut trouver. A l'exception peut-être de ces réeditions de poche sorties chez J'ai Lu entre 85 et 88...

    Lectures au passage Lectures au passage 

    Lectures au passage Lectures au passage

    Il y a une esthétique années 80 qui malgré un certain revival actuel nous échappe encore.

     


    votre commentaire
  • Louise Lame (merci à elle) a retrouvé la citation de JFV qui m'avait fait défaut dans un post précédent. C'est dans 95% de réel, JFV dit : "Je crois qu'une ville se définit en tant que vraie ville à partir du moment où elle a su soit volontairement soit involontairement se doter de passages".

    Ailleurs, dans un entretien inédit récemment publié, JFV précise le projet de départ de C'est toujours les autres qui meurent : "tout le catalogue Duchamp devait y passer, ou tous les passages parisiens. Sur les passages, je n'ai pas complètement tenu le pari (...)".

    Les passages couverts (de verrières) parisiens, qui ont tant fait couler l'encre de Walter Benjamin. Environ 130 passages couverts, construits entre 1786 et 1860. A une époque où il n'y pas de trottoirs dans les rues. Egouts coulant au milieu, et voitures à chevaux déboulant sans prévenir. Pas cool pour les redingotes. Et dangereux, aussi.

    Moins de 20 passages encore présents quand JFV écrit (et jusqu'à aujourd'hui). 8 sont évoqués dans ses bouquins.

    Commençons par le commencement. Passage du Caire (2ème arrt). Puisque, nous l'avons déjà écrit, le  premier roman de JF Vilar y commence. Et que c'est le plus ancien des passages encore existants (1799).

    Et puis :

    Galerie Vero-Dodat (1er arrt, 1826) (nous en avons déjà parlé ici)

    Galerie Vivienne (2ème arrt, 1823) 

    Passage des Panoramas (2ème arrt, 1800)

    Passage Jouffroy (9ème arrt, 1845)

    Passage Verdeau (9ème arrt, 1847)

    Passage des Princes (2ème arrt, 1860)

    Passage du Prado (10ème arrt, 1830)

    Lectures au passage

    (Galerie Véro-Dodat, photo non signée illustrant l'annonce, dans le programme du 7ème festival du roman et du film policier de Reims, de l'exposition "Quelques images en quète de crime, photographies de Jean-François Vilar", du 25 au 27 octobre 1985)

     

    A l'instar de JFV écrivant Paris d'octobre pour "boucler" le projet inachevé par Léo Malet d'écrire Les Nouveaux Mystères de Paris en 20 épisodes dans 20 arrondissements, qui écrira les aventures de Victor B à travers les passages couverts non cités par JFV ? En voici la liste :

    Passage du Ponceau (2ème arrt, 1826)

    Passage du Bourg l'Abbé (2ème arrt, 1828)

    Passage du Grand Cerf (2ème arrt, 1825)

    Passage Choiseul (1825) / Passage Ste Anne (2ème arrt, 1829)

    Galerie Colbert, (2ème arrt, 1826)

    Passage Brady (10ème arrt, 1828)

    Passage Vendôme (3ème arrt, 1827)

    Galerie de la Madeleine (8ème arrt, 1845)

    Passage Puteaux (8ème arrt, 1839)

    Passage du Havre (8ème arrt, 1845)

    Enfin, hormis les passages couverts, typiques d'une certaine époque de Paris, il existe d'autres "passages", à ciel ouvert, qui participent aussi de la géographie mystérieuse de Paris et des flâneries de JF Vilar. A commencer par feu le Passage des Singes. Bien sûr. Nous en parlerons sans doute une autre fois...

     


    votre commentaire
  • Je dois avouer que j'ai du mal à utiliser internet pour mes achats de livres. Les livres s'achètent en librairie. Les librairies sont des lieux de vie et de désirs. Dans les librairies lisent les libraires qui font lire les lecteurs et parfois - mais c'est plus rare - des non-lecteurs. Aussi quand nous avons trouvé la référence d'un texte écrit par JFV sur Pierre Molinier j'ai d'abord fait le tour des popotes, ma notice à la main : La grande mêlée, éd. In extremis, 2001. Je  suis allée partout : Beaubourg, Palais de Tokyo, Les mots à la bouche, tous les lieux branchés photo, tous les endroits susceptibles de posséder en rayon des ouvrages sur l'étrange Mr M. Chez Violette and co j'ai fini par avoir en main Je suis né homme-putain, ce qui n'était déjà pas si mal. Mais de "grande mêlée" point.

    Il a donc fallu effectuer une transaction marchande sur le net.

    Il a donc fallu attendre que l'objet envoyé se retrouve dans ma boîte aux lettres.

    Il a donc fallu ôter de multiples couches de protections (papiers à bulles, plastiques, carton, gros scotch) tout en marchant.

    Il a donc fallu s'arréter dans un jardin public, s'asseoir sur un banc au soleil de préférence et ouvrir le livre sur la reproduction de la Grande mêlée sous le regard courroucé de la petite vieille qui était à ma gauche.

    Bibliothèque

    Il a donc fallu tenter de comprendre le classement des 100 textes. Trouver un texte de Michèle Lesbre puis reconnaître l'écriture manuscrite et la signature de Jean-François Vilar.

    Ce texte est un des derniers qu'il ait accepté de publier. Les rares textes parus depuis 2000 sont uniquement des textes sur des artistes.

    Comme il y parle de bordels et de désir, nous y reviendrons. Forcément.

     


    votre commentaire
  • 217ème anniversaire de l'exécution publique le 4 germinal de l'an II (soit le 24 mars 1794) de Jacques-René Hébert, le plus fameux des Père Duchesne, "porte-parole de la sans-culotterie". Arrêté dans la nuit du 13 au 14 mars, emprisonné à la Conciergerie, jugé en urgence à partir du 21 mars, condamné à mort le 24, mené dans la charrette jusqu'à la place de la Révolution (rebaptisée place de la Concorde fin 1795) et guillotiné à 6 heures du soir par le bourreau Sanson (4ème du nom).

    Hébert apparait dans Les exagérés et La grande ronde du Père Duchesne, rue Saint-Antoine. Interviewé en juillet 1989 par Noël Simsolo dans Politis n°69, JF Vilar annonce qu'il "achève une assez copieuse biographie d'Hébert". Dans 813 n°33 (paru en décembre 1990), il écrit encore qu'il "travaille pour Calmann-Lévy, énorme travail, à une grosse biographie d'Hébert". Jamais éditée. Il faut dire qu'à l'époque JFV doit très certainement commencer Nous cheminons... et Prague cristallise de nouveaux désirs. Fin de la période révolutionnaire ? En tout cas cette biographie d'Hébert nous aurions aimé la lire...


             AVANT                   APRES

    Bibliothèque    Bibliothèque

                                 (Masque mortuaire en cire

                                         moulé par Mme Tussaud)

     


    votre commentaire
  • Au début de C'est toujours les autres qui meurent, Victor descend en bicyclette "aux Halles qui, comme chacun sait, n'existent plus. Plus de pavillons, plus de criée, plus de forts, plus de folklore, même plus de trou".

    L'action du roman se situe en juin 1981. Victor décrit "ce quartier informe, son bordel permanent, le vacarme des bulls et des caterpillars, l'horreur du Forum, l'énorme blague du reliquat de trou avec son eau verdâtre qui stagne au pied de la Bourse du commerce".

    Il faut dire que depuis 1977-1979 une gare RER et le Forum des Halles ont recouvert une grande partie de l'immense chantier commencé en 1971.

    Dans Paris la nuit, écrit en 1982, JF Vilar précise : "Certes, dans le genre "trou", on est loin de l'ancêtre : celui qui succéda à la destruction des "parapluies" de Baltard était gigantesque". Le fameux "trou des Halles".

    "Il n'y avait qu'à franchir la palissade. On dégringolait prudemment les éboulis, on évitait les épaves, on contournait les machines tapies dans la pénombre. En bas, c'était le chaos. Comme si les fortifs de la belle époque ressuscitaient : une zone indistincte et floue, non plus à la périphérie honteuse, mais dans la fibre même de la cité.

    Le ron-ron de la nuit programmée : bistrots, boîtes et studios galants (mais à cette époque, les bons vieux hôtels de passe l'emportaient encore largement, rue Saint-Denis), tout cela était loin : en haut, ailleurs. En bas, plus rien n'était repérable et tout était possible pour quelques heures obscures : une rencontre bouleversante, l'amour, un mauvais coup. Ou rien. Rien, bien sûr, la plupart du temps."

    "Un cinéaste italien imagina d'y rejouer la conquète de l'Ouest", raconte encore JFV dans Paris la nuit. Le cinéaste s'appelait Marco Ferreri, le film Touche pas à la femme blanche. Western plus parodique que spaghetti. Eté 1973, le "trou" à son apogée. Plus de 10 hectares de terre retournée. Quand la poussière soulevée par les colonnes de chevaux retombe, ou derrière les gros plans sur les personnages principaux du film, on aperçoit des maisons qui ne sont pas typiques des villes du Nouveau-Mexique.

     


    votre commentaire
  • La première fois que nous sommes entrés à la Bilipo, Corsaire et moi, la bibliothécaire nous a parlé de son départ, le lendemain, pour Prague où elle devait intervenir dans un colloque sur le roman noir. Nous avions à cette période perdu la trace de Victor et celle de JFV quelque part entre Paris et Prague. Justement. La coincidence était belle et nous nous étions dit qu'il n'était pas impossible que la bibliothécaire rencontre l'un ou l'autre au sortir d'un passage ou en remontant la rue de Paris.

    C'est en lisant le dernier roman de Michèle Lesbre que je me suis souvenue de cette histoire. Quand je lis Michèle Lesbre, je pense toujours à la Bilipo et à sa bibliothécaire parce que c'est elle qui me l'a fait connaître. C'est elle qui nous a dit que Michèle Lesbre connaissait Jean-François Vilar.

    Le roman dont je parle s'appelle Un lac immense et blanc. Quelqu'un que je ne connais pas me l'a offert avant sa sortie prévue en avril. J'étais seule dans un des cafés au pied de la Tour Saint-Jacques. Les tables y sont si serrées que vous n'avez pas d'autre choix que de lever les yeux sur votre voisin. C'est lui qui m'a donné le livre. Pour mes beaux yeux je crois.

    Si je pense à la Bilipo, à sa bibliothécaire  c'est  que la narratrice du roman parle elle aussi d'un voyage à Prague. Elle y sent, autour d'elle, la présence d'un ami disparu. Elle convoque Bohumil Hrabal. Et Karel Pecka. Ce dernier a écrit un roman - publié en France au lendemain de la "révolution de velours" - où il est question d'un homme qui décide de vivre dans un passage. Le passage Lucerna.

    En lisant le roman de Michèle Lesbre qui parlait du roman de Pecka je me suis dit que Victor avait peut-être rejoint l'homme dans le passage, qu'ils y vivaient encore tous les deux.

    Quant à moi, je me souviens avoir été à Prague en 1990. Tout y était étrangement silencieux. Les habitants avaient des regards de fantômes. On buvait des bières dans des cafés ouvriers ou les hommes se parlaient comme on conspire. Par habitude. Peut-être y ai-je croisé alors sans les reconnaître Michèle Lesbre, la bibliothécaire, Victor B, JFV, le héros de Pecka, peut-être...

    Dis, Corsaire Sanglot... je retournerais bien à Prague... t'en penses quoi ?

     


    votre commentaire
  • A la différence des cimaises des musées, les peintures sur les murs des villes s'inscrivent autant dans l'espace que dans le temps. JF Vilar a souvent parlé d'art urbain (graffiti, pochoirs...). L'art des rues parisiennes des années 80. Nous parlerons peinture un de ces jours.

    Lundi 7 mars 2011, au matin. Un grand mur peint, au niveau du 16-18 rue des Pyrénées, près de Nation. Moi Corsaire Sanglot je m'arrête, je pose mon vélo contre le mur. Photo.

    Bibliothèque

    Dans les aventures de Victor, il y a la musique qu'il écoute chez lui (disques, cassettes), et celle qui passe dans les cafés, dans les juke-boxes (c'était un temps où il y avait des juke-boxes dans les cafés, pas du sport sur des grands écrans plats !). Nous parlerons musique un de ces jours.

    Gainsbourg est cité en 3 occasions. Dans Paris d'octobre il est question un matin (le 10 octobre 1985) du dynamitage pendant la nuit de la façade du Casino de Paris où il doit donner un concert ("Rue de Clichy, Gainsbourg hausse les épaules, jette son mégot de Gitane, l'écrase soigneusement au milieu des gravats de marbre..."). Les paras et les fachos n'aimaient pas à ce moment-là sa version rastaquouère de la marseillaise.

    Et puis... en janvier 1985, dans En rade, Victor entend un Gainsbourg dans le juke-box d'un rade de la rue du Faubourg du Temple. Neuf mois plus tard, dans Paris d'octobre, c'est le même morceau que Lady l'Arsouille sélectionne dans un autre juke-box, cette fois dans un café du 9ème. Musique.

     


    votre commentaire
  • Les rades c'est la vie. Je ne vois pas bien ce que je pourrais rajouter. Sauf que. Au moment ou je suis dans mon rade et que je laisse le temps s'écouler de cette étrange manière qu'a le temps de s'écouler dans les cafés, je pense à certains bistrots qui disparaissent. Corps et âme. Comme "la Capitale", le café de Victor.

    Dans un post précédént nous nous interrogions sur le nom du café : s'appelait-il vraiment "La Capitale" comme le journal où travaillait Fandor dans Fantomas ? Des lecteurs du blog nous ont aidé depuis à trouver quelques réponses.

    Au début du XXe siècle, le café s'appelle "A la Capitale".  A regarder cette photo, on imagine volontiers Fandor justement sortir du tram à la poursuite de Fantomas, perdre sa trace et aller boire un verre d'absinthe, dépité, à la terrasse du café.

    Bibliothèque

    (Un correspondant nous a transmis cette carte postale, non datée. Le "tramway funiculaire de Belleville" a été en service de 1891 à 1924) 

    Au moment ou Victor emménage quai de Jemmapes (vers 1979), nous ne savons pas comment s'appelle le bistrot. Mais un jour il change de nom, il devient "La Capitale Balkane" comme on peut le voir sur cette photo prise par un correspondant, lecteur de Vilar et un peu photographe. Que la Capitale soit devenue balkane n'a pas l'air de plaire à JFV qui jusqu'à la fermeture lui préfère son ancien nom.

    Bibliothèque

    (photo Didier Buty, octobre 1989)

    Bibliothèque

    (Le Bon Accueil juste à coté s'est transformé depuis en "Les bérets verts" et est devenu tout de suite moins accueillant...)

    Samedi 2 décembre 1989, dans Nous cheminons..., Victor descend comme d'habitude acheter des journaux au kiosque devant "la Capitale" ; il apprend que le bistrot va fermer à la fin du mois ("Le bruit courait de l'installation d'un McDo").

    Bibliothèque

    (photo Didier Buty, janvier 90 - Les travaux ont commencé)

    En 1996, alors que Victor a disparu entre Paris et Prague, Serge Quadruppani confirme dans une nouvelle publiée dans Paris, rive noire : "ils passèrent devant l'établissement qui s'était appelé La Capitale puis La Capitale des Balkans et se nommait à présent MCDonalds."

    Il y a les rades qui disparaissent dans l'oubli et ceux, qui même transformés en fast-food, continuent à exister de romans noirs en romans noirs.

     


    votre commentaire
  • En relisant Paris d'octobre, soudain quelque chose nous frappe : passant dans le 13e arrondissement, Victor rend visite à Dominique Gaultier, libraire à la Butte aux Cailles et co-fondateur des éditions du Dilettante ("J'aime le chat dormant sur un livre ouvert qui sert d'emblème aux bouquins qu'il édite"). 

    Bibliothèque

    Quelques jours plus tard, poursuivi par des tueurs, il se réfugie dans la librairie de son ami Dominique Lattron, dans le 19e arrondissement cette fois.

    Dans En rade, nouvelle parue en 1985 dans la revue Après la plage, Victor boit un blanc sec dans un petit café rue du Faubourg du Temple. Il voit débarquer au zinc Dominique, libraire de la boutique d'occasion du coin, qui parle de la météo en citant des auteurs : un temps à la Goodis, à la Simenon, à la Malet...

              *          *          *

    Rue Barrault (n° 11), la librairie "La Commune de la Butte aux Cailles" n'existe plus. Mais les éditions du Dilettante sont toujours actives, et Dominique Gaultier les anime toujours, il a juste déplacé sa librairie rue Racine, près de St Sulpice.

    Au 30 rue Bouret, la librairie Puce a baissé son rideau de fer qui rouille inéluctablement. Et Dominique Lattron, rédacteur avec JFV et une poignée d'autres de la micro-revue Vendredi 13, pataphysicien possédant l'unique portrait officiel d'Absoulis l'Abscons, a parait-il cassé sa pipe.

    Bibliothèque

    Nous ne trouvons pas trace de librairie au coin de la rue du Faubourg du Temple. Ce Dominique-là a-t-il existé ou n'est-il qu'un libraire de roman, prénommé Dominique comme il se doit ?

              *          *          *

    Victor et JFV ont aussi beaucoup fréquenté la librairie La Terrasse de Gutenberg, à l'angle de la rue de Prague et de la rue Emilio Castelar (Paris 12e). Nous en avons parlé dans un post précédent. La libraire ne s'appelle pas Dominique mais Michelle.

     


    votre commentaire
  • Il y a des quartiers entiers qui échappent à la curiosité de Victor. Par exemple, hormis le Père Lachaise dans Paris d'octobre et les premiers locaux du journal Le Soir sous la gare désaffectée d'Avron, sur la "minuscule colline de Charonne", il flâne assez peu dans le 20ème. La librairie Le Comptoir des Mots, place Gambetta, ne pourrait donc se trouver sur un circuit "le Paris de Victor Blainville". Dommage, je me serais assez vue, un parapluie rose à la main vous servir de guide sur les hauteurs de Belleville. Mettons entre le mur des fédérés et, débordant de quelques pas dans le 19ème, l'ancienne rue Compans. Nous aurions essayé de retrouver l'emplacement du café "Chez Victor" où a été tourné une des scènes de Jules et Jim. Mais je m'égare. Et vous égare.

    Le Comptoir des Mots, donc. En ce moment, la librairie consacre une partie de sa vitrine et une grande table au Paris noir. Les livres de Jean-François Vilar y figurent bien sûr, aux côtés de Rue des Maléfices de Yonnet et autres récits du merveilleux urbain.

    Bibliothèque

    Bibliothèque

    On reparlera du Comptoir d'ici peu  quand Michèle Lesbre (partie il y a quelques années chercher Victor à Prague) viendra y signer son prochain "récit" : Un lac immense et blanc.

    Par ailleurs le canapé, près du rayon érotique, est fort confortable. Rouge dans mon souvenir.

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique