• "Dans une odeur de café grillé, sous une voûte de sacs de charbon, parmi les contorsions d'une somnambule, on a verni cette nuit l'Exposition internationale surréaliste."

    Ainsi débute un des articles écrits au lendemain de l'inauguration de l'expo surréaliste du 17 janvier 1938. [Voir ici la collection de coupures de presse de Breton]

    C'est dans le Paris rupin, au 140 rue du Faubourg Saint-Honoré (Paris 8ème), que Breton et ses comparses ont décidé de fomenter une de leurs machinations à affoler le bourgeois. Cette fois c'est Duchamp en personne qui a orchestré le tout.

    Alfred Katz, le héros de Nous cheminons... qui a suivi les préparatifs, partage une flasque de whisky avec Man Ray et fait partie de la foule qui se presse pour respirer un léger parfum de scandale, se frotter à la mise en scène gentiment érotique du gratin surréaliste, histoire d'oublier le temps d'une soirée que ça sent la guerre, pas très loin.

    Il "se fraye un chemin dans la cour qui mène à l'exposition. Là où le Taxi pluvieux de Dali est exposé. Il fait recette." (ici et ) "Tout cela brille et pue un peu. Eructations, pamoisons. Katz entre dans la galerie."

    Dans la galerie, le long du couloir, on marque l'arrêt devant les 16 mannequins qui jalonnent "les plus belles rues de Paris" : femme en cage, prise dans des filets, surmontée d'une chauve-souris... jolie collection de fantasmes en hommage à la capitale du désir.

     

    Plus loin, c'est la salle principale "Elle est presque totalement obscure, écrasée par le plafond de sacs de charbon voulu par Duchamp. Les invités errent, en se bousculant, leur petite lampe Mazda à la main qui n'éclaire pas à un mètre. Man Ray, M. Rayon, ricane. (...) On n'y voit rien ou presque, on se bouscule poliment, avec des petits rires étouffés."

    Visiteurs de l'expo surréaliste de 1938

     

    Evidemment, l'exposition surréaliste ne peut être qu'un lieu de rencontre. Comment imaginer ne pas y tomber amoureux ? Ne pas  y trouver l'amour fou ?

    Ce sera donc rue de Tous-les-Diables, devant le mannequin de Max Ernst : "Une jeune femme est penchée sur elle, justement. Du bout des doigts, elle évalue la courbure de la cuisse de cette statue qui semble être son amie, n'hésite pas à relever le pli de la robe juqu'à la hanche puis, lâchant tout, se campe dans une posture de défi. (...) - Je suis plus belle qu'elle."

    Quant à moi Louise Lame, j'aurais bien aimé croiser le regard de Corsaire Sanglot rue de la Transfusion-de-Sang (parce que Rouge c'est la vie !).

     


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  • "Je suis entré par la rue Saint-Denis." C'est l'incipit du premier texte publié par JF Vilar, C'est toujours les autres qui meurent. Le narrateur vient de pénétrer dans un passage couvert parisien. Et nous lecteurs venons de pénétrer dans l'univers littéraire de JF Vilar.

    A relire ce roman après avoir lu tous les autres, il est étonnant de constater à quel point le premier chapitre introduit toute l'oeuvre de JFV. Donc : ça se passe à Paris. Dans un passage couvert (Passage du Caire). Il y a un corps féminin nu (une poupée, un mannequin... ou un vrai cadavre ?). Il y a une mise en scène, érotique. Et référencée (Marcel Duchamp, un franc-tireur du surréalisme). Il y a une ambiguité entre simulacre et réalité. Le narrateur prend des photos. Il nous précise la date et l'heure (vendredi 19 juin, 18h). Il ressort du passage, photographie (la rue, les putes) - il pense à des photos d'Atget, nouvelle référence. Il déteste le téléphone. Il a 3 chats (nommés Kamenev, Zinoviev et Radek). Il a milité autrefois dans une "orga" politique (il avait un pseudo), il l'a quittée. Il se nomme Victor Blainville. Il s'arrête dans un bar, il boit une bière. Il récupère son vélo.

    Voilà. C'est toujours les autres qui meurent, pages 9 à 24. Entrée en scène de Victor Blainville. Entrée en littérature de Jean-François Vilar.

     


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  • Quelle est la probabilité pour qu'à une journée d'intervalle, vous rencontriez dans deux ouvrages différents le même patronyme : Zborowski ?

    L'un de ces ouvrages est le premier volume des aventures d'Adèle Blanc-Sec qui fait partie tout comme moi (Louise Lame) de la liste des héroines de fiction favorites de Jean-François Vilar. La mystérieuse Adèle rencontre dans un train Antoine Zborowsky qui perdra par la suite la raison en voulant courir à la fois l'aventurière et le ptérodactyle.

    Le second ouvrage parcouru quelques heures plus tard est Nous cheminons... A la page 209, Victor note : "Au crayon, de manière très fine, il y avait une petite mention manuscrite au bas de la page du carnet. Un simple nom. "Marc Zborowski" ". Ce Zborowski-là ne travaille pas au Museum d'Histoire naturelle comme celui de Tardi. Il roule pour Staline et a infiltré les trots parisiens en devenant le secrétaire de Liova Sedov. Il est  probablement responsable de quelques fronts troués...

    Entre ce Zborowski ayant réellement existé et celui de Tardi, pâle et falot à qui l'on doit malgré tout un joli rêve traversé par Adèle nue au milieu des dinosaures, peut-être n'y a-t-il aucune point commun ? Peut-être ne sont-ils réunis sur ce blog que par des hasards de lectures ?

    Des hasards, ces chemins qui mènent d'une oeuvre à une autre ? Il suffit parfois d'un mot, un patronyme, un lieu, une expression, une image... pour susciter d'intrigantes résonnances.

     


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  • 1er anniversaire de la mort de Daniel Bensaid, mardi 12 janvier 2010. Le jour même à 17h08, Jean-François Vilar envoie sur le site militant Bellaciao un mail d'adieu :

    "Salut Daniel, Salut Jebracq,

    Pendant combien de décennies, déjà, avons-nous tenté d’aider la Taupe à creuser ? Quelle que soit la manière dont on le mène, le combat sans toi va être encore beaucoup plus dur.

    Pensées solidaires à S., bien sûr.

    Fraternelles salutations communistes

    Jean-François Vilar"

    Ceci est à ce jour la plus récente expression publique de JFV, la seule de l'année 2010.

     


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  • Parmi les auteurs de romans noirs apparus depuis 1968, Jean-François Vilar est le romancier de la ville de Paris (Léo Malet l'avait précédé). Victor Blainville, son personnage, rechigne à quitter la capitale, son canal St Martin, ses chats et ses mystères (de Paris). Cependant il explique dans une citation que nous finirons bien par retrouver (!?) qu'il n'est pas bon bec que de Paris, mais que seules les villes comportant des passages secrets méritent le nom de ville. Et à ce titre, il daigne s'aventurer à Venise... et à Prague.

    Après Paris, Prague est la grande ville aimée par JFV. Il l'évoque une première fois en 1984 dans Etat d'urgence (qui se passe à Venise). Le narrateur, Adrien Leck, cinéaste ami de Victor, se souvient de sa rencontre à Prague avec la comédienne tchèque Sarah Stroblh, sur le pont Charles.

    Mais c'est à partir de 1991 que Prague commence à occuper une place aussi importante que Paris dans l'oeuvre de JFV. D'abord, dans La ville est un roman, un étrange objet éditorial composé de 3 portfolios, publié par Denoël, on trouve une nouvelle de JFV intitulée Le réveil du Golem, qui se passe à l'ombre de la vieille synagogue. On trouve aussi dans ce recueil un article historique intitulé Le procès d'Arthur L., qui évoque le procès d'Arthur London à Praque en 1952 ; cet article présente la particularité d'être signé "de notre correspondant à Bruxelles, E. Fried" ! Quand on sait qu'Eugen Fried (alias Clément) fut le correspondant du Komintern à Bruxelles, il y a de quoi s'interroger... (mais nous reparlerons de Fried)

    En 1992, JFV publie une variation holmesienne à partir de la nouvelle de Conan Doyle Un scandale en Bohème, Sherlock Holmes et les ombres, qui se déroule entre Londres et Prague.

    En 1993 parait Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués. L'action se déroule à Paris en novembre 1989, et Victor rencontre une journaliste tchèque, Solveig (c'est un faux nom - c'est peut-être une fausse journaliste ?) et suit de loin les événements qui secouent alors le bloc de l'Est dont la Tchécoslovaquie. A la fin, il quitte Paris (définitivement ?) et le roman se termine à Prague où Victor trouve les réponses aux mystères auxquels il était confronté, et peut-être d'autres réponses encore...

    En octobre 1993, dans un petit recueil publié par la librairie La Terrasse de Gutenberg pour son 10ème anniversaire, JFV nous donne une nouvelle, Rue de Prague, où il nous donne des nouvelles de Victor qui envoie des cartes et des lettres à la librairie en les adressant volontairement rue de Prague (à l'angle de laquelle se situe certes la librairie, mais alors que l'adresse postale officielle est rue Emilio Castelar).

    En 1994, JFV est interrogé par Pierre-André Sauvageot dans le documentaire vidéo 95% de réel, entre Paris et Prague, tandis qu'il travaille à la rédaction d'un roman qui n'a jamais été publié, et dont l'action se situe principalement à Praque, entre la rue de Paris et le camp d'extermination de Terezin. C'est à ce moment et dans ces lieux que l'on perd la trace de Victor B...

    JFV, lui, donnera encore de ses nouvelles pragoises en 2002, en conseillant aux auditeurs de Radio Prague comme lui la lecture d'un roman tchèque qui venait d'être traduit en français : Docteur Braun, derniers jours, de Hana Belohradska (HB éditions).

     


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  • En écrivant le post précédent, une question nous a brusquement traversé l'esprit : "La Capitale" était-il vraiment le nom du café qui faisait l'angle du quai de Jemmapes et de la rue du Faubourg du Temple avant qu'il ne soit remplacé par un MacDo ? La Capitale étant par ailleurs le nom du journal dans lequel écrivait Jérome Fandor, on peut légitimement se poser la question.

    Affaire à suivre...

     


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  • Nous pourrions commencer par une carte. Une carte comme celles que JFV a "établies" pour Tango n°4-5 avec photos détourées, tickets de caisse de café, billet de théatre, extraits de textes surréalistes, images de feuilletons belle époque, collage et trouvailles, adresses de divers lieux du crime et autres ébats passionnels. Une carte sur laquelle nous aurions pu placer des têtes d'épingles aux endroits marquants de la vie de Victor Blainville. Oui ce serait tentant mais encore un peu tôt, car sur cette carte qu'aurions-nous à y mettre avec certitude ? Un lieu initial, une adresse précise d'où partiraient nos flâneries : 38 Quai de Jemmapes, 75010 Paris, là où habite Victor Blainville (il y vivait encore en décembre 1989, depuis on l'aurait croisé à Prague et ailleurs mais sait-on s'il n'est pas toujours tapi dans sa tanière...?) 

    Ouais pas trop mal comme lieu de départ... sauf qu'à regarder de près les bouquins de JFV on n'est sûr de rien, lisez plutôt : dans C'est toujours les autres qui meurent, l'adresse exacte n'est pas mentionnée, Victor y habite Quai de Jemmapes au quatrième étage. Dans les romans suivants il descendra quelques marches, habitera au troisième mais achètera le quatrième pour y faire son labo photo. C'est dans Bastille Tango qu'on découvre qu'il s'agit du numéro 38. Nous nous le tenons pour dit et jetons non sans connivence un coup d'oeil en passant aux troisième et quatrième étages de cet immeuble cossu. Sauf que...

    Sauf qu'au début de Nous cheminons..., il est question de pas : de 14 exactement, les 14 pas nécessaires pour couvrir la distance entre l'entrée du bar "la Capitale" et la porte de l'immeuble de Victor. 14 pas qu'il est trop tentant de faire, mine de rien, entre le Macdo ayant remplacé le bistrot (en décembre 1989, si on en croit Victor à la fin de Nous cheminons...)  et... le numéro 36 ? ...une porte de différence, trois fois rien, une légère incertitude et nous voilà dès le départ à douter des cartes, des plans, de la ville, des romans, de la longueur des pas, du réel, des pas de côté et tutti quanti.

    Il ne nous reste plus qu'à vérifier dans quel immeuble il y a bien une boîte aux lettres au nom de Victor Blainville, un recoin sous l'escalier près d'un minuscule cagibi, une odeur de cire Johnson dans l'escalier, des degrés grinçants et surtout une ampoule grillée au 1er étage...

    affaire à suivre...

     


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