• La couleur du fond de l'air

    Atget vivait dans un gourbi au 17 bis rue Campagne-Première, non loin de l'hôtel Istria ou passa Walter Benjamin. C'est dans cet appartement que Locke s'est installé dans Passage des singes. J'imagine les milliers de clichés classés dans des boîtes ainsi que le matériel photographique du "vieux" comme l'appelait Victor (quand il ne parlait pas de Trotski, bien entendu), son lourd appareil en bois qu'il continua a transporter toute sa vie, le préférant aux appareils plus légers aux poses plus rapides. Si je pense à Atget c'est que mon regard a croisé l'affiche d'une expo qui a lieu en ce moment au musée Carnavalet. Sur l'affiche un homme et une femme se font face, se parlent. Ce qu'ils se disent est perdu à tout jamais.

    La couleur du fond de l'air 

    Le choix de cette photo me surprend, elle traduit la volonté du musée de présenter le travail d'Atget dans sa totalité, avec les clichés mis de côté par les surréalistes : les photos d'arbres, de campagne, les scènes avec des personnages. Car si Atget est devenu "le père de la photographie moderne" comme on peut le lire sur la plaque posée au 17 bis, c'est bien parce qu'il photographiait essentiellement quelque chose comme la disparition de la figure humaine. "Il est remarquable que presque toutes ces photos soient vides", écrivait W.B. dans Petite histoire de la photographie. Atget opérait quelque chose de l'ordre du saisissement. Ce qu'il saisit : une ville avant destruction, une ville sans ses foules, des rues sans le peuple. Il saisit les murs, les pavés, les cours, les vitrines, le fond de l'air, les vibrations du vide, comme s'il photographiait les rues juste après la disparition du meurtrier de la scène du crime. A l'instant de la disparition du cadavre, quand le crime flotte encore dans l'air et qu'on tente d'en effacer les traces. En regardant plus près certaines de ces photos, on voit bien pourtant quelques fantômes capturés par les longs temps de pause sur les plaques en gélatino-bromure d'argent. Je me demande même si je n'y ai pas vu l'empreinte de mon corps nu.

    Chez Atget, le fond de l'air n'est pas rouge, ni même noir et blanc, le fond de l'air a la couleur de l'inconscient, celle des fantômes saisis dans l'argent.

    La couleur du fond de l'air La couleur du fond de l'air

       (Cour, 90 rue Quincampoix,   (Butte-aux-Cailles, passage Vandrezanne, 1920)                              1900)

     


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  • Commentaires

    1
    Didier Buty
    Mardi 22 Mai 2012 à 11:35

    Bonjour,

    Juste pour mémoire : Victor refaisant une photo d'Atget (cour Damoye, il me semble) dans Bastille Tango

    A signaler aussi la contribution de JFV à un colloque Atget de 85 ou 86

    Just for the fun

     

    A+

    2
    Corsaire Sanglot Profil de Corsaire Sanglot
    Dimanche 27 Mai 2012 à 00:20

    Oui oui ! Cette photo d'Atget décrite dans Bastille Tango et que Victor essaie de refaire (cherchant l'angle de prise de vue, etc.) est bien située cour Damoye. Et dans Passage des Singes, il est question d'une autre photo-citation, du passage avant destruction (avec pompe à eau et paniers pendus, nous l'avions mise pour illustrer un article sur le passage cet été : ici ), que Victor expose dans une galerie. Par ailleurs, dès les premières pages de C'est toujours les autres qui meurent, Victor évoque une photo d'Atget, un café place du Caire ( ici ).

    Et il y a 2 textes de JFV qui se terminent chez Atget, rue Campagne-Première : Passage des Singes et Paris la nuit. Plus quantité d'autres textes où JFV nomme Atget...

    à +

    Corsaire Sanglot

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