• Lames

    Je redescendais de la mairie du 18ème à vélo quand j'ai vu l'affiche consacrée à l'exposition sur Germaine Krull. Avec les événements de ces derniers temps concernant les migrants, et notamment celles et ceux qui depuis le mois de juin à Paris étaient chassés de lieux en lieux, je n'avais pas eu la tête à arpenter les expos photos. J'avais le regard froid et la mâchoire serrée des mauvais jours. Dans ces moments-là mes envies de graphs et de collages sur les murs de la ville tournaient à l'obsession. Je me retenais de sortir la nuit pour placarder des images d'embarcations en Méditerranée. J'avais le désir de sérigraphies grand format collées à la hâte. Du genre envahissantes. Que les images sortent des écrans tactiles, des murs facebook, où elles s'effacent du bout des doigts.

    La vision de la photo de Germaine Krull n'avait aucune chance d'atténuer ma colère, il s'agissait juste d'une digression. Une tangente.

    Lames

    Germaine Krull photographiait les passages. J'avais vu quelques-unes de ses photos lors d'une exposition consacrée à Walter Benjamin. Ces deux-là s'étaient rencontrés en 1926 et avaient correspondu quelque temps. Elle avait été spartakiste dans sa jeunesse, avait failli être fusillée. Et depuis, arpentait le monde en rescapée, photographiait les architectures d'acier, les femmes entre elles, la marchandise, les mannequins nus dans les vitrines.

    Lames 

    Je crois bien qu'avec Victor, nous avions joué un temps à nous envoyer des images par mails. Une photo de Germaine Krull faisait partie du jeu. C'était comme tirer les tarots. Les photos comme des lames, les unes à côté des autres, formaient une énigme à résoudre. Je n'étais pas mauvaise à ce jeu-là. Krull était la voyante oculiste.

    Lames  Lames

    Je l'avais placée à côté du portrait de Madame Sacco, la voyante que fréquentait Breton en 1926/27, au moment de la rencontre de Krull et de W. Benjamin. Madame Sacco habitait alors rue de l'Usine dans le 15ème arrondissement, là où depuis 1925 Citroën avait ouvert une usine flambant neuve dans les locaux de l'ancienne usine Cail dont le propriétaire était mort au temps de la Commune.

    J'imagine Breton se rendant rue de l'Usine pour se faire tirer les cartes, croisant les ouvriers qui se rendaient dans la toute nouvelle usine de la rue de Grenelle, pendant que la même année Krull et W. Benjamin parlaient des passages.

    Les deux portraits de femmes sont toujours punaisés sur le mur au dessus de mes ordinateurs avec d'autres images envoyées par Victor. La nuit, sans doute à défaut de placarder les murs de la ville de corps de migrant.e.s mort.e.s aux quatre coins de l'Europe, je tente de trouver dans l'agencement de ces images les réponses à nos questions. Et auprès de mes fantômes la force de continuer les luttes.

     


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