• Sale époque

    La journée avait été longue. Et dure. J'étais rentrée chez moi, à la Mouette.

    Sale époque

    J'avais la gorge complètement nouée. Etre tué par des fachos à 18 ans, c'était une saloperie. Insupportable.

    J'avais besoin de rentrer dans mon antre, de me recroqueviller sur le canapé et de descendre une bouteille. Dehors sur la place quelques jeunes mecs faisaient pétarader leur mobylette. J'avais l'habitude de trouver ça pénible mais ce soir c'était presque réconfortant.

    Le rassemblement sur le lieu ou C. avait été battu à mort avait été sobre et tendu. J'avais aperçu parmi la foule quelques visages familiers. Certains de ses proches camarades tentaient de contenir leurs larmes, d'autres non. En voyant le visage de l'un d'entre eux que je connaissais, je ne pus m'empêcher de pleurer à mon tour. Que faire d'autre ?

    Le rassemblement appelé par les partis politiques à Saint-Michel était lui pitoyable. Des tribuns se succédaient avec des trémolos dans la voix. Pire encore, pendant le rassemblement à Saint-Lazare, des cars entiers de sans-paps avaient été raflés à Barbès. Sur ordre du ministre de ce même gouvernement qui appelait à se mobiliser contre le fascisme ! Sale époque. A vomir.

    J'étais rentrée à pied, sans que la marche ne puisse calmer ni ma colère, ni ma tristesse. Je n'avais de toute façon aucune intention de calmer l'une ou l'autre. Arrivée chez moi, il fallut que je boive plusieurs verres avant que ma respiration ne reprenne un cours normal. Mon regard se posa sur le bureau où était posée la volumineuse enveloppe qui m'avait été remise quelques semaines plus tôt du côté de la rue Vilin. Je n'avais depuis pas eu le courage d'entreprende l'inventaire de son contenu. Sans pouvoir me l'expliquer. Il fallait dire aussi que je n'en avais pas eu vraiment le temps. Paris continuait à me proposer trop de tentations et la lumière d'aquarium de certains bars m'envoutait tant que je n'en sortais qu'en pleine nuit.

    Je glissai la main à l'intérieur de l'enveloppe, pour en tirer une carte au hasard. Comme avec un jeu de tarot.

    Sale époque

    La photo avait été prise dans une pièce pleine d'ordinateurs. Le moins que l'on puisse dire, c'était qu'il y régnait un beau bordel. Et je m'y connaissais ! J'épinglai la photo au-dessus du bureau, à côté de l'Angelus Novus. Où avait-elle été prise, quand, par qui ? Sur cette dernière question, j'avais ma petite idée... Une phrase de Monique Wittig me revint à l'esprit : "Fais un effort pour te souvenir. Ou, à défaut, invente". J'écrivis la phrase sur le mur, juste au-dessus de la photo.

    En réalité je ne comprenais pas grand chose ; au même instant, j'entendis siffler devant la vitrine. El paso del Ebro. Je laissai passer le temps nécessaire pour attacher un vélo, puis j'allai ouvrir la porte. Corsaire et moi avions beaucoup à réfléchir et à parler. La nuit allait être longue. De toute façon, avec la mort de C., nous n'avions pas sommeil.

     


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