• Walter Benjamin ou les plaisirs de l'archive

    Il est un endroit où Paris vibre toujours : dans la pensée de Walter Benjamin.

    Alors que l'automne s'installe et que le spleen sourd de l'asphalte humide, je me suis égarée dans le cerveau pourtant bien organisé d'un de ceux qui a le plus brillamment compris la ville-lumière au XIXème siècle : ses passages, ses barricades, ses panoramas, sa foule... Le Musée d'art et d'histoire du judaïsme organise une exposition sur les rapports que le philosophe allemand a entretenu avec l'archive. Une salle entière tente de dresser une cartographie, une arborescence de la pensée de Benjamin avec ses territoires, ses insularités : "micrographies", "écrivailleries en pièces et fiches", "constellations", "collectes de chiffons", "amandes à casser" jalonnent ainsi un espace mental tout à la fois foisonnant et classificateur. Sorte de flânerie à l'intérieur d'un crâne...

    Par ailleurs on peut voir quelques photos de la grande Germaine Krull sur les passages couverts.

     Walter Benjamin ou les plaisirs de l'archive   Walter Benjamin ou les plaisirs de l'archive

    L'expo finit sur un plan de Paris recouvrant un mur, où sont cartographiés outre les adresses des endroits où a vécu WB, celles des  connaissances qui se trouvaient dans son carnet d'adresses et celles des lieux évoqués dans son oeuvre et sa correspondance. De quoi se perdre entre l'hôtel Istria rue Campagne-Première et les cafés qu'il fréquentait assidûment, le domicile d'Hélène Hessel avenue Victor Hugo et celui, rue de Rennes, de Georges Bataille (à qui il a laissé le manuscrit du Livre des passages avant de se faire arrêter puis de se suicider, le 26 septembre 1940, à Portbou, juste au-delà de la frontière espagnole).

    En regardant les portraits de WB, je me suis souvenue que JFV en avait fait un personnage d'une nouvelle, La tâche de vin, dans laquelle il croisait Trotsky, vers 1934-1935, au Rendez-vous, café de la place Denfert-Rochereau. JFV le décrivait, avec "son doux regard de myope", et "son déplorable accent allemand" :

    "Walter entra à ce moment-là. Il était fidèle à son aspect habituel, jusqu'à la caricature : mine empruntée, lunettes cerclées de fer, chevelure en broussaille et moustache mal taillée. Sa manière de se tenir raide accentuait son embonpoint. Avec son petit cartable et son costume lustré il avait l'air respectable de l'intellectuel miteux. Logeant à l'hôtel voisin, il était également un habitué du Rendez-vous. (...)
    Il s'installa au fond de la salle, là où allaient d'habitude les amoureux, sortit un livre de son cartable et se plongea dans sa lecture, crayon en main.
    - Qui est-ce ?
    - Un professeur de Francfort. Marxiste et juif. Il a été forcé de fuir. D'Allemagne d'abord, d'URSS ensuite. (...)
    Serge allait lui parler des recherches que menait Walter sur Baudelaire, sur le XIXe siècle parisien, quand Hannah fit son entrée."

    Je m'attendais presque à le croiser assis sur une banquette de moleskine, lorsqu'en sortant du MAJH je me suis installée dans un bistrot rue du Roi-de-Sicile, entre zinc et miroirs, à chercher au fond des verres "la plus petite image de la ville".

    Son fantôme me semblait alors plus vivant que nombre de nos contemporains.

     


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