• Odradek hante mon escalier et je ne sais qu'en faire. Les fils de la bobine en forme d'étoile s'entremêlent sans fin. Pour Walter Benjamin, "Odradek est la forme que prennent les choses tombées dans l'oubli" et chez JFV, il prend la forme d'un clodo couvert de haillons. A la fin de Nous cheminons, ces haillons sont des morceaux de papiers recouverts de textes : "Il marchait lentement, traînant le pas(...). Chaque pas, chaque geste du bonhomme provoquaient un petit bruit, un doux craquement de feuilles mortes. (...)Le bonhomme était fait d'un seul bloc fragile, menacé de dislocation. Les limites entre le corps et l'entortillage des vêtements étaient des plus indisctinctes. (...) Il s'occupait avec des bandes de papiers, étroites et longues, des rouleaux défaits en serpentins qu'il scrutait, passait d'une poche à l'autre, posait pour examen sur ses genoux, mettait de côté, reprenait, griffonnait avec un minuscule bout de crayon. Un manège rigoureux, méthodique. Le papier se mêlait jusqu'à s'y fondre avec les franges de la houppelande, du cache-nez, du châle, etc."

    Cet Odradek fait de bribes de mots, de reliquats d'archives, de l'inconscient de l'Histoire, je n'arrive pas à m'en défaire. Il n'est pas simplement "le souci du père de famille" comme dans Kafka, il devient, au fur et à mesure que j'y pense, le souci de l'Histoire qui rumine, rumine ses révolutions ratées, ses émeutes classées sans suites, ses espoirs de Grand Soir déçus. Il me semble que ce qui est archivé ainsi à même le corps du clodo, ce sont toutes nos manoeuvres pour nous défaire du vieux monde, la geste des révoltes, rebellions et insurrections passées et futures. Celles que nous devons continuer à faire couver.

    Je veux laisser à Odradek les cages d'escalier et les greniers. Je ne veux pas me satisfaire comme ces hybrides kafkaiens, mi-bestioles mi-chimères, de terriers et de galeries. Si j'emprunte les passages, c'est que souvent leurs verrières laissent passer la lumière.

    Pour en finir avec Odradek

    (Passage, Paris, 1927-1929 - photo de Germaine Krull)

     Pour en finir avec Odradek Pour en finir avec Odradek

    (photos du passage des Princes, L.Lame, avril 2011)

    Abandonnant le père de famille à ses soucis domestiques, je préfère dans la ville suivre d'étranges traces. Je piste, nez au vent, les empreintes laissées dans l'air par d'anciens indiens métropolitains. Mais ceci est une autre histoire. A suivre...


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