• C'est un objet important dans Bastille Tango. Un roman qui "tient les minutes" en temps réel de la destruction de tout un coin de ville, place de la Bastille. L'embarcadère de Vincennes de la vieille gare, le cinéma Paramount-Bastille (anciennement Le Lux), la brasserie La Tour d'Argent. Les immeubles et les petites boutiques de la rue de Charenton, de la rue de Lyon. Les cafés (Le Hêtre de la Bastille, La Bretagne). L'armurerie Guyot, 48 rue de Lyon. Avec son enseigne singulière : "le Bras Armé, comme jaillissant du mur."

    "Une chose curieuse, ce Bras. En stuc ou en plâtre. Avec une manche peinte en rouge et, serré dans le poing fermé, un fusil. (...) Quelle était la mesure de ce Bras disproportionné, excroissance incongrue d'un géant passe-muraille ? Deux mètres ? Ou plus ? Et le fusil devait bien en faire autant."

    "Un soir, il y avait de cela une quinzaine, chez Julio et tout en sirotant l'inévitable maté, j'avais dû dire : "Puisqu'ils détruisent tout, qu'est-ce qu'ils vont faire de ce Bras ?" Qui allait le récupérer ? - Toi, si tu veux, avait répondu Julio."

    Aidé par Julio, son lasso, sa scie et sa camionnette, Victor le décroche et le ramène chez lui, quai de Jemmapes. Il encombre un moment le living, les chattes tournent autour avec circonspection, Victor jubile : "ce truc était là et c'était bien. Inespéré. Aussi précieux qu'une flèche de Notre-Dame, qu'un bout d'escalier de la Tour Eiffel ou que la pompe à eau du Passage des Singes. Bout de Paris désormais à moi, en sécurité." 

    Finalement, aidé par les peintres de rue les Mi Noche Triste, le Bras Armé est fixé sur le mur du living, entre les 2 fenêtres donnant sur le canal : "Il gênait un peu le passage, entre la table-échiquier, le fauteuil thaïlandais et Laureen, un de mes mannequins d'étalage récupéré dans une benne. (...) Je suis de ceux qui jettent peu et récupèrent beaucoup, sans vrai souci de collection, comme on cueille."

    Grâce à l'excellent livre Panique à Paname de Marc Lemonnier aux éditions Parigramme, nous avons une photo de l'objet. Quand il était encore sur son mur, tendu vers la place de la Bastille.

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    Quant à Louise lame et Adèle Blanc-Sec, elles semblent aussi circonspectes que les chattes de Victor. Elles m'ont dit comprendre le désir de posséder tout un tas d'incongruités chez soi, Adèle avouant même un faible pour les momies d'appartement... mais un bras armé d'un fusil de 2 mètres ?

     


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  • Il y a des endroits de Paris qui sonnent creux. Blancs, vides, des blocs de silence. On y marche comme avec des pantoufles. On espère une quelconque embrouille de carrefour qui mettrait de l'animation. En vain, généralement. Les habitants sont imprégnés de l'esprit du lieu, pas un mot plus haut que l'autre, des regards baissés, le moins de gestes possible. Pas d'esclandre, nuls éclats.

    Rue de Vaugirard puisqu'il s'agit d'elle. Nous longeons un immense commissariat dont la plaque nous apprend qu'il a été inauguré par Pasqua, Chirac et Balladur. L'envie nous prend de changer de trottoir mais le complexe d'hôtellerie internationale qui se trouve juste en face ne nous tente guère plus et avec un peu de malchance il aura été inauguré par un autre larbin du capitalisme.

    Nous continuons donc. Ce que nous cherchons ne doit pas se trouver bien loin de la maison poulaga version Ricardo Bofill. Quelque chose de plus modeste, une boutique de bouquiniste, celle de Blaise Faible, l'antipathique personnage de Nous cheminons...

    Nous savons qu'en 1938 Alfred Katz "situait précisemment le bouquiniste rue de Vaugirard, entre la rue du Général-Beuret et la place Adolphe-Chérioux. Tant il est vrai que les rues du XVe arrondissement semblent vouées à la mémoire des héros injustement méconnus". On ne lui fait pas dire. En 1989, Victor B retrouve la boutique, elle est "étroite, avec des boîtes sur le trottoir. Quoi ? Des vieux polars comme il convient, Série Noire cartonnée, vieilles revues Ellery Queen, Mystère mag. Un Mystère, La Chouette. Des livres aussi de Calet, de Guèrin. Des Huguenin, beaucoup de Céline, de Drieu. Tout un programme écléctique un peu trop proclamé".

    En 2011, le bric-à-brac a fait place à du velin, doré sur tranche. Il n'y a plus de bacs à l'extérieur mais des statues en devanture. Les temps changent.

    Bibliothèque Bibliothèque

    Sur la porte vitrée nous pouvons lire le nom du libraire. Pas Blaise Faible, non...

    Bibliothèque

    Nous entrons, en imaginant que nous allons entendre un récit du type "Ah mais oui, Jean-François, nous étions ensemble en classe, il me tirait les nattes...." Mais Marianne Katz nous écoute, avec des grands yeux éberlués : un auteur, Vilar, dont elle connait à peine le nom, un personnage nommé Katz qui serait passé dans le coin en 1938, dans un roman qu'elle n'a pas lu, paru en 1993... Elle nous dit avoir repris la boutique en 2001. Elle ne comprend pas grand chose à notre histoire...

    Nous, on commence à entrevoir la porosité des cloisons entre fiction et réalité... même rue de Vaugirard.

     


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  • Lectures au passage

    (En couverture : photo de Robert Doisneau)

    On en parle un peu ici et .

     


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  • Victor B est un flâneur. Il traverse Paris, à pied. Ou à bicyclette. Victor "déteste tout ce qui a un moteur". 

    JF Vilar dit quelque part dans une interview qu'il préfère le mot bicyclette au mot vélo. Après, il est comme nous tous... le mot qu'il n'aime pas lui échappe, parfois, quand même...

    L'action de C'est toujours les autres... commence le 19 juin 1981. Victor vient d'accrocher son vélo "près du monument de la très belle et très inutile porte Saint-Denis", et le récit démarre quelques minutes plus tard lorsqu'il entre passage du Caire. Le lendemain, après une crevaison, il monte son engin sur l'épaule jusqu'à son 4ème étage ; il l'y répare, "fourche en l'air, au milieu du séjour".

    Dans Passage des singes, situé en septembre 1982, Victor décrit son vélo à Kiki : "made in Britain, pratique, robuste, sobre (tout noir)" et il lui fait "admirer le jeu complexe du dérailleur".

    Le 11 février 1984, Victor abandonne la "vieille Mercier, cabossée et rouillée par l'usage" qu'il utilisait (depuis quand ? Mercier n'est pas une marque anglaise !). Il vient de se procurer une Raleigh Granada (made in Britain, à nouveau !), il la rode le long du canal St Martin, deux jours plus tard, au début du récit de Tandem (dans Tango n°3).

    Cette bicyclette solide et fiable va lui durer plusieurs années. C'est juché sur sa selle qu'il traverse Bastille Tango, Paris d'octobre (il y décrit son vélo comme "une sorte de Rolls à deux roues"), Les exagérés et Nous cheminons...

    A quoi ressemble une bicyclette Raleigh Granada ? Description dans Tandem : "plutôt lourde et très sobre, chic même (cinq vitesses, noire de cadre et chromes brillants)", "selle confortable (mousse et cuir)".
     
    Ca pourrait ressembler à cette bicyclette Raleigh Granada ci-dessous (avec la selle plus haute - Victor mesure 1m90) :

     Bibliothèque
     
    Dans Les Exagérés, Victor nous apprend qu'il y a rajouté des sacoches, le jour pour ranger des bouquins achetés à la librairie Le Minotaure, la nuit pour les garnir "de nourritures diverses pour les chats de rencontre."

    Un mystère demeure. Dans Paris énigmes (Les vacances, Autrement n°111, janvier 1990), JF Vilar nous explique comment il organise ses voyages à Paris "lors des quelques semaines de vacances" qu'il s'accorde l'été. Il écrit qu'il aime traverser Paris sur une Raleigh Granada ("ce qu'il y a de mieux en ville"). Il omet juste de nous préciser s'il emprunte celle de Victor, ou s'il s'est procuré le même modèle.

     


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  • Nous avons évoqué dans un post précédent le numéro 3 de la revue Tango première formule où se trouve la nouvelle Tandem de Vilar : l'histoire commence au lendemain de la mort de Julio Cortazar, elle est illustrée par des dessins de JFV dont un portrait de Valentina (de Crepax) et un autre avec une femme nue sur une bicyclette.

    Bibliothèque(dessin de Jean-François Vilar, dans Tango n°3, juillet 1984)

    On trouve dans cette même revue un texte de Cortazar, Hommage à une jeune sorcière, écrit au sortir de la "pièce" Le diable, de et avec Rita Renoir, où l'écrivain parle tour à tour de Heinz von Cramer, de Valentina, de hérissons pris dans les phares des autos, et de Rita, de la nudité sauvage de Rita. Surtout.

     BibliothèqueBibliothèque

    (Valentina, bien sûr, et Rita Renoir, photo dans Tango n°3)

    "D'une manière ou d'une autre il faut saisir le hérisson de la pelote et en tirer le bout, transformer peu à peu en fil linéaire sa sphéricité acharnée".

    Le hérisson-pelote de Cortazar est l'image du texte en train de s'écrire autour d'une révélation : celle de la nudité, nudité fantasmée de Valentina performée par Rita Renoir. L'écrivain réussit à glisser la main jusqu'à la chair rose, à trouver le chemin au beau milieu des piquants et à démêler la pelote acérée des "irruptions de souvenirs".

    A la lecture de ce texte, je pense, moi Louise Lame, experte en nudité urbaine et autres dégrafages de corsage sous les portes cochères, aux femmes nues (mises à nu) qui traversent les textes de Vilar.

    De la nudité comme effraction et désordre.

    Car il faut bien continuer à saturer l'espace public de nos désirs.

     


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